COLLEGE
SAINT-BARTHELEMY (Liège)
SEQUENCES DE LECONS
Séquence
de cours sur Marcel Proust
Présenter
Marcel Proust aux élèves... Belle gageure lorsque, en début
dannée, ils vous ont avoué leur aversion pour la lecture,
vous prévenant demblée quils passeront allègrement
les descriptions trop longues si par malheur vous osez leur « faire lire
» quelque bouquin au héros inactif. Loin de moi lidée
de leur « imposer » A la Recherche du Temps Perdu . Non,
simplement lenvie de prendre, avec eux, un rendez-vous galant avec un
jongleur de mots, de les emmener pendant quelques heures dans un voyage au plus
profond de la conscience humaine, à la rencontre dun passé
dabord inaccessible, puis retrouvé.
Partant du
principe que, sans une petite madeleine trempée dans du thé, Proust
naurait sans doute pas connu une telle fortune littéraire, la conviction
suivante sest imposée à mon esprit : toutes les inspirations
mènent à la littérature, quelles aient lapparence
dune Muse ....ou celle dun petit gateau. .. Le résultat ?
Quelques leçons « gourmandes ».
1.
Le point de départ :
Vous arrivez
en classe avec un goûter improvisé : biscuits « à
la cuillère », mandarines, bonbons à la guimauve, «
Nic-Nac », gaufres au chocolat... tout un festin que vous posez sur les
bancs. . Le choix des « victuailles » repose sur le principe suivant
: les denrées proposées doivent être liées à
lenfance ou à un moment déterminé de lexistence
comme la Noël, la fête de Saint-Nicolas... La vue desdits aliments
et leur goût doivent rappeler des souvenirs aux élèves,
souvenirs éventuellement lointains, enfouis au plus profond deux-mêmes,
mais bien présents. Chacun se sert à sa guise et consomme les
aliments.
2. Le développement
:
Vous distribuez
ensuite à chaque élève une feuille vierge et vous demandez
à chacun, alors quil mange encore, de noter les impressions, souvenirs,
histoires, qui lui reviennent à lesprit. Vous précisez que
le style et lorthographe nont aucune importance, quil ne sagit
pas dun devoir ou dune préparation, mais simplement dune
expérience. Vous laissez, au départ, les élèves échanger
leurs impressions, le silence sinstallant de lui-même peu à
peu, chacun étant « perdu » dans ses souvenirs.
Pour avoir réalisé
deux fois cette séquence dans des classes complètement différentes,
jai pu noter les observations suivantes :
- 1. Les élèves
se rappellent automatiquement un nombre assez impressionnant de faits très
différents, un souvenir en appelant un autre, ce dernier étant
parfois complètement étranger à la sensation gustative
de départ.
- 2. Bon nombre délèves
composent des phrases longues, digressives, cherchant à exprimer au
mieux limpression ressentie et utilisant, à cette fin, des figures
poétiques (le langage imagé rendant mieux leurs émotions),
font appel à un vocabulaire précis, varié.
- 3. Les élèves
éprouvant habituellement des difficultés pour rédiger
un texte semblent « débloqués », comme si la nourriture
leur servait de tremplin, de pont, diminuait leur appréhension vis-à-vis
de cette langue dont lemploi les effraye ou les ennuye.
- 4. Stimulés par
le retour en force de leurs souvenirs, les élèves écrivent
beaucoup; il me semble donc primordial de ne pas interrompre leur «
créativité » en limitant lexercice à un laps
de temps précis. Dès lors, il convient de prévoir, pour
cette expérience, deux périodes de cours (sans interruption),
une seule étant insuffisante pour mener à bien la totalité
de lexercice.
3. La découverte
du texte proustien :
A la troisième
période de cours, vous prenez un moment pour discuter avec les élèves
des impressions ressenties, des souvenirs remontés à la surface;
se rappelaient-ils de tous les moments « retrouvés », ont-ils
eu besoin de réfléchir, de faire un effort pour faire émerger
certaines données... On en arrive ainsi peu à peu à dégager
les deux formes de la mémoire : mémoire sensitive, spontanée,
fugitive, liée à une impression olfactive, gustative, visuelle ou
autre; et la mémoire « forcée » utilisée pour
se remémorer des faits trop imprécis à première vue.
On propose ensuite aux
élèves la lecture du texte de Proust, plus particulièrement
lextrait dit « de la madeleine ». Dautres extraits seront
ensuite proposés, extraits choisis en fonction du moment de lexpérience
ou de la classe à laquelle on sadresse.
Présenter Proust
peut se faire à ce moment : parler de son histoire (on pourrait à
ce moment projeter aux élèves le film de V. Schlöndorf sur
Proust dans sa totalité ou en partie), de son désir décriture,
de création, les liens entre sa vie et son oeuvre, les caractéristiques
de cette dernière.
Vient alors un travail de
comparaison: chaque élève compare le style proustien à
celui de sa propre production, les souvenirs évoqués... Il est
important de ne pas rendre ladite comparaison trop lourde, trop poussée
afin de ne pas « casser » limpression positive de départ.
Aborder Proust devient alors moins lourd, lélève se trouvant
en pays de connaissance, après avoir éprouver des émotions
semblables à celle de lécrivain et comprenant de ce fait
davantage le pourquoi des digressions, des phrases longues, etc.
4. Ouverture
possible :
Il est possible
ensuite de comparer lapproche proustienne de la mémoire avec celle
du philosophe Bergson, par exemple, délargir le sujet en évoquant
les travaux de Freud sur linconscient.... Ou encore continuer la séquence
par la lecture de nouvelles ou romans dans lesquels les cinq sens jouent un rôle
important (comme Le parfum de Suskind ou La légende des parfums de Tournier),
aborder des BD comme Jonathan de Cosey pour la lecture desquelles une musique
daccompagnement est proposée et oriente éventuellement linterprétation,
la compréhension de lhistoire, sorienter vers un domaine plus
économique (en accord par exemple avec le professeur déconomie
ou de « socio ») en voyant limpact dans les publicités
ou les grands magasins des musiques, couleurs, dégustations... sur les
acheteurs potentiels...
Bon travail !
©
Carine Nickels, Collège Saint-Barthélemy (Liège).